L’erva-mate et les graines de guaraná


São Paulo Accueil vous propose une série d’articles sur la thématique « une brève histoire des boissons au Brésil ». Cette série passe en revue la bibliographie historique sur les boissons fermentées traditionnelles, qui tenaient une place considérable dans la plupart des cultures amérindiennes, mais qui ne sont plus consommées aujourd’hui au Brésil, à la différence des autres pays d’Amérique latine. Cependant, d’autres boissons autochtones, comme le mate et le guaraná, ont subsisté et se sont adaptées. Le café et la cachaça sont devenus les boissons les plus emblématiques de la culture brésilienne, bien que leurs usages respectifs remplissent des fonctions opposées.

 


L’erva-mate et les graines de guaraná

Deux boissons amérindiennes non alcooliques ont été incorporées à la culture brésilienne contemporaine sous une forme modernisée : le chimarrão, fait à base d’erva-mate (Ilex paraguaiensis), et le guaraná (Paullinia cupana), tous deux utilisées aujourd’hui comme des excitants.

Lorsqu’elles ne sont pas insalivées (comme pour faire du cauim), l’erva-mate et le guaraná ont pour effet de stimuler la productivité au travail. En outre, n’étant pas transformés en substance alcoolique, elles ne peuvent pas donner lieu à des rituels extatiques. Elles ont ainsi pu être assimilées par la société contemporaine dans différents pays même si, lors de la colonisation, une certaine opposition à ce que les non-Amérindiens en consomment s’était manifestée. Ainsi, le maté avait été interdit en 1566 par Hernandárias, le gouverneur du Rio del Prata et du Paraguay.

Son nom en guarani est caa, mais le terme de mate, d’origine quechua, renvoie à l’idée de gourde ou calebasse (également connue sous le nom de porongo). On y met en effet l’erva-mate broyée et mélangée avec de l’eau chaude, que l’on boit au moyen d’un tube en métal appelé « pompe ». L’Ilex paraguaiensis (selon la dénomination scientifique proposé par Saint Hilaire en 1822) est connu sous le nom de congonha dans d’autres régions, où il est consommé sous forme d’infusion et donne son nom à diverses localités dont l’aéroport intérieur de São Paulo.

L’História Econômica do Mate [Histoire économique du mate] publiée en 1969 par l’historien paranaense Temístocles Linhares est le principal ouvrage sur cette plante. Il y traite de ses différentes utilisations et de son importance économique et culturelle. Celle-ci est en effet un véritable « or vert » au pays des pignons de pin, comme on appelle quelquefois le sud du Brésil pour évoquer l’une de ses productions phares. Ainsi, l’histoire du mate se confond-elle avec celle du Paraná : à l’époque des missions religieuses, cette herbe était un monopole de la Compagnie de Jésus et il est toujours l’un des principaux produits commerciaux de la région, ayant donné naissance à divers villages comme, par exemple, Curitiba qui était à l’origine un entrepôt de mate.

De nos jours, il est de tradition dans le sud du Brésil, en Uruguay et en Argentine de boire l’erva-mate dans une calebasse, sous forme de chimarrão chaud. Au Paraguay, il est consommé avec de l’eau froide, et on l’appelle alors tereré. Il s’est répandu dans tout le pays, associé à diverses saveurs, et il rencontre un grand succès sur les plages de Rio de Janeiro, où il est vendu par des commerçants ambulants comme une boisson rafraîchissante.

Le guaraná est originaire d’une région située au sud de la partie centrale du bassin de l’Amazone, où vit le peuple Maué. L’anthropologue Anthony Henman a montré que le missionnaire jésuite João Felipe Betendorf a été le premier à décrire, en 1669, ses différents usages. Les grains étaient broyés au pilon, puis agglutinés et solidifiés pour former une barre, qui était alors râpée avec la langue du poisson pirarucu (arapaima gigas) couverte d’aspérités. Les Amérindiens d’Amazonie l’utilisaient pour ses effets diurétiques et pour soulager diverses affections comme les fièvres et les crampes, mais ils en consommaient également pour ses vertus aphrodisiaques, raison pour laquelle son usage s’est répandu chez les Blancs. Theodor von Martius en avait obtenu des échantillons par son frère Carl, le grand naturaliste et voyageur. Ainsi, en 1826, il a pu en isoler le principal constituant qu’il a dénommé « guaranine » et qui, par la suite, a été identifiée à la tetrametilxantine, une substance presque identique à la caféine. Avec un taux de concentration de 4 % à 5 %, c’est un produit beaucoup plus actif que le thé (moins de 2 %) ou que le café et le maté (1 %). On le consomme aujourd’hui surtout en sodas qui renferment une proportion infime de guaraná naturel mais il est aussi utilisé en barre ou à l’état de poudre, principalement pour ses effets stimulants.

L’évêque Dom João de São José de Queirós confessait apprécier le guaraná qui était capable, disait-il, de « mettre le cœur en joie ». Il déclarait, en 1763 : « [Il] nous a beaucoup soulagé, et il est réputé être fort utile pour apaiser les fièvres […] ; pris en plus grande quantité, il pallie le manque de sommeil et coupe la faim. » Toutefois, ajoutait-il, « il doit être utilisé comme un remède et non comme une friandise (comme on le fait de nos jours) ». En 1871, le voyageur allemand Oscar Canstatt décrivait le guaraná comme « une boisson agréable et rafraîchissante » dont les vertus, écrivait-il, en font « un rival du café dans la majeure partie de l’Amérique du Sud ».

Si en termes de volume consommé, le guaraná n’est pas parvenu à concurrencer le café, le maté voire le thé noir, il est toutefois le rafraîchissement gazeux le plus typique du Brésil et, à ce titre, concurrence sur le marché des boissons non alcooliques d’autres produits du même genre comme le coca-cola. En outre, il continue à être pris sous forme de sirop, de barre ou de poudre.

 

Auteur : Henrique Carneiro

 


Henrique Carneiro est professeur du Département d’histoire de l’Université de São Paulo (USP), où il est coordinateur du Laboratoire d’études historiques sur les drogues et les aliments (Lehda). Il est membre-fondateur du Centre interdisciplinaire d’études psychoactives (NEIP).