Ma fille Marina chez les indiens – Par Denise
Tout d’abord il faut vous dire que le choix de Marina a été pour nous parents, famille et amis, tout à fait insolite, extravagant, incompréhensible ! Vous comprendrez pourquoi en lisant ce qui suit…..
Nous habitions São José dos Campos, ville de l’intérieur de São Paulo où mon mari avait été nommé directeur d’une usine de la General Motors, la première au Brésil à fabriquer des voitures….la Chevette, au début des années 1960.
Marina, enfant, était une petite fille timide, peureuse, fragile, ayant souvent des crises d’asthme. Elle n’était pas du tout sportive, n’aimait pas camper et aucun genre d’aventure osée. Adolescente elle aimait le confort, la lecture, le cinéma, le théâtre, le contact intellectuel.
Elle disait ne pas vouloir cuisiner, la chaleur et les odeurs la dérangeaient…..les tissus rêches la piquaient, les crapauds (il y en avait beaucoup autour de chez nous…) l’effrayaient !
Nous faisions à cette époque beaucoup de voyages en auto avec nos deux filles, partout dans le Brésil et les installations sanitaires étaient plutôt « rustiques » : un problème pour Marina.
À 17 ans elle nous quitta pour l’université à SP, où elle suivra un cours de sciences sociales et d’anthropologie. Elle fréquente les milieux intellectuels, les musées et sera même animatrice à la Biennale de SP.
La politique au Brésil passait par un moment très grave ; un coup d’état en 1964 avait mis les militaires au pouvoir et pendant 21 ans il y eu opposition entre les forces politiques et sociales. Ce régime totalitaire fût l’occasion d’arrestations, tortures, censure des moyens de communication.
En 1979, son diplôme d’anthropologie en mains, elle nous annonce son départ avec son copain, chez les Xavantes, une ethnie d’indiens « au fin fond du milieu du monde », dans l’état du Mato Grosso !
Le copain heureusement était un garçon de bonne famille, les Villas-Bôas, nom lié traditionnellement aux problèmes des nations d’indiens au Brésil.
Je veux bien croire que c’est un amour fou qui explique comment cette jeune fille cultivée, raffinée, exigeante, s’adaptera à un changement radical en tout…
Ce que nous pensions être un caprice, une aventure, est devenu 30 ans de dévouement, à enseigner aux indiens la civilisation des « blancs », et le portugais, tout en montrant l’importance de leurs traditions, coutumes et de leur langue qui ne devaient pas être oubliées.
Elle a eu deux enfants qui ont suivi tous les déménagements, à chaque fois très loin, dans des sites pratiquement inaccessibles. C’était une époque où la seule communication était la radio et quand ça voulait bien marcher…
Je vais en trois épisodes raconter un peu la vie qu’ils ont menée dans trois régions au sein de trois tribus différentes.
1- Xavantes – Mato Grosso – Centre du Brésil 1979 (naissance de Mariana en 1980)
2- Ticunas – Alto Solimões – nord de l’état d’Amazonas – frontière colombienne (1981-1984)
3- Parque do Xingu – Centre-ouest, entre les états de Tocantins, Goias et Mato Grosso (1984-1986)
Premier épisode : Chez les indiens Xavantes
Et voilà Marina chez les Xavantes, une nation d’environ 13.000 individus qui habitent un village isolé dans le centre-ouest de l’état du Mato Grosso.
À l’époque, Marina et André étaient fonctionnaires de la FUNAI (Fundação Nacional do Indio), organisme gouvernemental brésilien pour la protection des intérêts et culture des indiens.
Leur premier poste a donc été chez les Xavantes et ils s’installèrent dans le village indigène. Ils reçurent pour leur usage une maison correcte, mais qui n’avait aucun confort, pas d’eau courante, pas d’électricité et les seuls meubles étaient une table, des chaises et un lit….
Pour cuisiner il fallait qu’elle aille chercher du bois dans la brousse, pour allumer le feu. Il fallait chercher l’eau dans un sceau pour la toilette, pour cuisiner, pour laver le linge !!!
Et ils ont dû apprendre à partager, tout est collectif, sans discussion ou dispute.
Sa 1ère expérience de partage a été avec une grande casserole de riz qu’elle avait préparée pour durer pour au moins trois repas… Surprise : elle retrouve sa casserole aux trois quarts vide ! On a jugé que ce qui était laissé serait suffisant pour que 2 personnes mangent une fois !
Tout se passait comme cela. S’il y avait deux ou trois couteaux, elle en retrouvait un et ainsi de suite ; même le linge à sécher sur la corde, les aliments etc. Ce n’était pas du vol, mais une division de biens… ! Elle voyait son T-shirt ou les bermudas d’André portés par quelqu’un qui n’était pas gêné du tout.
J’envoyais par la poste des petits colis avec des friandises. Il fallait choisir ce qui ne craignait pas la chaleur et qui pouvait supporter la longueur du temps de transport. Rien de frais, seulement des fruits secs, abricots, figues, amandes, des produits en boite. Là, de nouveau la recommandation était de ne pas mettre trop de choses dans mes paquets, au risque du partage prévu !!!
Malgré le dénuement total de leur vie, Marina était heureuse et aimait fleurir la maison, cueillir des feuillages et les mettre dans des paniers chez elle. Cela provoquait l’indignation et le rire des indiens, qui n’ont jamais compris pourquoi couper des feuilles qui étaient dehors à deux pas et les mettre dedans avec de l’eau.
Elle a aussi organisé ses « tiroirs » avec des panières accrochées et suspendues au plafond.
Un an après, elle nous est revenue juste à temps pour accoucher d’une petite fille, Mariana, née au mois de mars 1980. Le voyage a été épique, car c’était la saison des pluies et les routes de terre rouge, étaient pratiquement infranchissables. Il fallut utiliser un tracteur pour atteindre un point carrossable alors que les douleurs de l’accouchement s’annonçaient déjà…